Interviews

Synthèse de la Soirée des Adhérents du 12 décembre 2024

Dr Martial JARDEL
Président et cofondateur de Médecins Solidaires, “Personnalité santé de l’année 2023” par le Quotidien du Médecin.

Le projet Médecins Solidaires a été lancé pour répondre, à sa petite échelle, à l’urgence des déserts médicaux.
La tâche est immense, car l’existence de ces déserts dépasse largement la question du numerus clausus et s’inscrit
dans une crise d’accès aux soins de dimension internationale.

Indignons-nous et agissons !

Avec l’accélération de l’évolution de la médecine, et alors que les connaissances médicales sont multipliées par 2 tous les 73 jours, comment garantir à chacun une prise en charge d’une part, avec la meilleure qualité de médecine d’autre part ? Dans le même pas de
temps, certains patients diabétiques peuvent bénéficier de téléexpertise, de pompes à insuline, de capteurs sous-cutanés et de visites
avec des infirmiers en pratique avancée (IPA), tandis que d’autres n’ont pas de traitement.

« La genèse de Médecins Solidaires a été l’indignation face à cette iniquité. Notre ambition est de dépasser la revendication, ô combien légitime et nécessaire, pour être dans la contribution. »

Quel est le problème ?

La démarche de Médecins Solidaires consiste à partir d’une question simple : quel est le problème ? En l’occurrence, une part du problème vient de l’inadéquation entre l’offre et la demande.
Durant longtemps, l’équilibre tendu entre l’offre et la demande a nourri une concurrence accrue entre les médecins. Ainsi, dans les années 1980-1990, le fait de travailler six jours sur six ne s’expliquait pas seulement par la vocation – réelle –, mais par le risque de perdre des patients.
« Durant plusieurs décennies, la vocation était certes forte, mais aussi du clientélisme ou de la rivalité ! Mais ce monde a disparu, car l’offre et la demande ne suffisent plus à équilibrer le marché. »
Un autre aspect du problème, tout aussi majeur, vient de l’ampleur de l’engagement
attendu. En 1980, un médecin qui s’installait dans un territoire rural pouvait décider de changer de projet de vie : la perspective de racheter sa patientèle et de reprendre son activité faisait toujours un heureux. Et même si personne ne reprenait sa place, l’abondance de médecins à proximité permettait de ne pas abandonner les patients. Il n’en est plus rien aujourd’hui : personne n’est capable d’affirmer qu’il exercera son métier toute sa vie au même endroit, mais se désinstaller condamne souvent les patients à se retrouver sans soins.
« S’installer dans un territoire rural est bien plus engageant qu’auparavant. Aujourd’hui, toute désinstallation est devenue synonyme de drame humain. Cela crée un désengagement immense. »

Le temps de l’innovation organisationnelle

La résolution d’un désert médical ne saurait dépendre de la volonté d’un seul individu.
Le projet Médecins Solidaires suit le raisonnement inverse : demander peu à beaucoup de médecins, plutôt que demander beaucoup
à peu de médecins.
« Confier la responsabilité de l’accès aux soins de tout un territoire à un seul individu, de surcroît dans un système aussi fragile, est une forme d’irresponsabilité. Il est temps d’envisager la médecine générale d’une autre manière. »
Le prisme de la réflexion qui a prévalu durant des années – un médecin installé dans le même territoire pendant 30 ans – n’a plus lieu d’être. Le mot d’ordre est désormais celui de l’innovation organisationnelle, pour inventer un système de coopération, qui n’engage pas les mêmes responsabilités individuelles et permet tout de même de délivrer de la médecine générale aux habitants d’un territoire. Bien sûr, nous perdrons certaines choses, comme la profondeur de la relation thérapeutique, la prise en compte du temps long et l’intensité de la relation humaine. Pour autant, ils ne sont pas mis au rebut : les médecins qui le souhaitent pourront continuer à exercer la médecine de cette manière et porter une responsabilité individuelle. Le cas échéant, il faudra même les encourager. Mais quand ce ne sera pas possible parce que personne ne porte un tel projet, l’attentisme ne pourra plus être la solution. Attendre qu’un médecin soit individuellement touché par la grâce est insupportable et irresponsable !

Médecins Solidaires, une utopie raisonnable

En retenant l’unité de temps d’une semaine, le projet de Médecins Solidaires est peut-être utopique, mais c’est une utopie raisonnable.
• La force du collectif
Médecins Solidaires propose à des médecins d’exercer pendant une semaine dans un centre de santé implanté dans un territoire rural dans lequel il n’y a pas de perspective d’installation, pour rétablir une présence médicale. Trois types de médecins sont engagés dans le projet : jeunes médecins remplaçants, médecins installés dans de bonnes conditions et pouvant aisément se faire remplacer facilement, médecins retraités.
Le premier centre a été ouvert à Ajain, à côté de Guéret, à titre expérimental. Les patients ont directement adhéré au dispositif, qui fonctionne bien médicalement. Les patients ont certes perdu l’épaisseur relationnelle avec leur médecin, mais ils ont trouvé autre chose : les regards croisés de différents praticiens, une attention et une conscience professionnelle non taries par l’habitude, mais aussi une distance propice pour se confier.
« Les patients sont exceptionnellement résilients. Même s’ils ont des habitudes, il faut cesser de croire qu’ils sont irrémédiablement attachés au modèle existant. »


Aujourd’hui, sept centres de santé Médecins Solidaires sont ouverts sur tout le territoire. Dans deux d’entre eux, implantés dans la Creuse, deux médecins sur neuf sont présents toutes les semaines. Depuis deux ans, il n’y a eu aucune semaine sans médecin.
Le centre du Cher propose parfois aussi la téléconsultation avec un médecin du territoire, avec l’accompagnement d’une infirmière. Toutefois, nous défendons avant tout une vision de la médecine humaniste et de proximité.
Ces bons résultats illustrent la force du collectif : 550 médecins constituent 550 potentielles solutions ! L’apparente fragilité du projet à ses débuts révèle finalement sa solidité : la présence médicale ne dépend pas d’un individu, mais repose sur un collectif.
« Le risque d’absence se trouve considérablement dilué par l’ensemble, et l’accès aux soins dans ces territoires ruraux devient à la fois pérenne, permanent et fiable sur le plan médical. »


• La coordination, pierre angulaire du modèle
Le suivi des patients par les différents médecins s’effectue grâce au dossier médical informatisé . Les coordinatrices sont les vrais visages des centres, et les vraies actrices du lien avec les patients. Leur rôle permet aussi aux médecins de se libérer de la complexité administrative, pour se concentrer sur l’exercice de la médecine, au rythme confortable de trois consultations par heure.
« Libérés de tout ce qui ne relève pas de la médecine, les médecins sont à même d’exercer dans un cadre serein. »

Et demain ?

L’innovation organisationnelle permet d’aborder la question des déserts médicaux autrement que sous l’angle de la régulation de l’installation des médecins, pour inventer de nouvelles formes de solutions.
L’activité de médecin a déjà été révolutionnée par de grands progrès comme la dématérialisation et le numérique, synonymes de gains de temps considérables. Avec l’IA, nous sommes à l’aube d’une nouvelle phase de transformation du métier – et il est crucial que les médecins soient les premiers acteurs du changement.
« Grâce à l’IA, les médecins ne seront plus des opérateurs de saisie et pourront se concentrer davantage sur l’humain. »


D’ici fin 2026, Médecins Solidaires ambitionne d’ouvrir 20 centres et de recruter 2 000 médecins (par les médias, les réseaux sociaux, les congrès et les partenariats avec des structures disposant de mégabases). Ce point d’équilibre lui permettra d’autofinancer ses charges de structures, sans dépendre de financements publics. Le système fonctionne avec une rémunération des médecins de 1 000€/semaine, frais pris en charge, et des locaux prêtés par les communes.


« Les médecins qui acceptent cet effort de rémunération font partie du collectif par humanisme et conviction. Cet engagement est perceptible dans leur rapport aux patients. »

Synthèse rédigée par Voyelles Rédaction
www.voyelles.net

Commentaires

Cela pourrait vous intérresser

Éditos

Santé !

Drôle de pays que le nôtre tout de même… en France, on se souhaite « bonne année »et l’on ajoute […]

Interviews

Confiance, méfiance, défiances

Les experts du cabinet de conseil Nextep-Health, entreprise du groupe PLG, proposent une analyse du contexte dans lequel se déroule […]

Connectez-vous ou adhérez pour lire cet article