Éditos

Liberté, liberté chérie

Les médecins sont opposés à toute régulation de leur liberté d’installation. De nombreuses autres professions de santé y sont pourtant déjà contraintes. Explications.

Cela fait des années que le sujet revient sur la table. Des années que les politiques l’évoquent et que les associations d’usagers le réclament. Et des années que les médecins s’y opposent farouchement, invoquant même pour les plus virulents d’entre eux des dérives « à l’anglaise » voire « à la soviétique » de notre beau système de santé à la française. Diantre !

Je veux évidemment parler des limitations possibles à la liberté totale d’installation dont jouit depuis des siècles le corps médical. Et voilà que, coup sur coup, l’Assemblée nationale et le Sénat votent chacun une proposition de loi remettant en question cette liberté. La première émane de M. Garot, la seconde de M. Mouillot, les termes sont en partie différents mais toutes deux visent au fond le même objectif à savoir : obliger les médecins libéraux à s’installer là où on a le plus besoin d’eux. Ou, plus exactement, leur imposer une autorisation préalable dans certains territoires bien définis.

Concrètement, les contraintes seraient limitées. De fait, elles ne porteraient que pour les zones « sur-denses », c’est-à-dire celle où les professionnels sont déjà très nombreux. Partout ailleurs, la liberté demeurerait la règle générale. En pratique, dans ces zones « sur-denses » dont le périmètre serait déterminé à l’échelle locale par les ARS (Agences régionales de santé), la règle serait de « un départ pour une nouvelle installation » pour les libéraux spécialistes. Les généralistes, eux, seraient obligés de consacrer une partie de leur temps de travail dans des zones « sous-denses », là où le manque de médecins se fait le plus cruellement sentir.

Combien de temps exactement, ce temps partiel ? La réponse appartiendra aux Parlementaires, mais le Premier ministre a récemment donné comme indication « environ deux jours par mois ». Dans cette même interview au Journal du Dimanche, François Bayrou n’a d’ailleurs pas mâché ses mots à l’égard des médecins : « On ne peut pas bénéficier de tout ce que le pays offre sans en accepter les responsabilités. Dire aucune contrainte, c’est à mes yeux une forme d’indifférence ou de manque de responsabilité ». Et d’ajouter que les praticiens sont « rémunérés par la Sécurité Sociale et leurs études financées par la collectivité ». Provoquant par là-même la colère des syndicats médicaux, qui lui ont répondu qu’ils étaient plutôt rémunérés « par les patients via les remboursements de leurs actes » et qu’ils assuraient chaque jour « deux millions de consultations ».

Inter : la fin d’une exception

On en est donc là aujourd’hui. Pour le moment, rien n’est encore acté. La loi n’est pas votée, les décrets ne sont pas rédigés, les détails ne sont pas précisés, les zones géographiques encore moins. Mais les médecins libéraux vont devoir se faire une raison : tôt ou tard, et sans doute avant la fin de cette législature, ils n’auront plus de liberté totale d’installation. Sur cette question, ils ne seront plus une exception dans le paysage sanitaire.

Car la réalité est bien celle-ci : infirmiers, kinésithérapeutes, pharmaciens, chirurgiens-dentistes, toutes ces professions sont, depuis des années, concernées par une forme de régulation plus ou moins sévère.

Ainsi, en 2017, un « dispositif de rééquilibrage de l’offre de soins » (sic) a été instauré pour les kinés exerçant en libéral. Quatre zones différentes de densité ont été définies, et dans les mieux dotées (environ 30% de la population concernée) il faut non seulement attendre un départ pour s’installer, mais en outre s’engager à effectuer au moins 1 200 actes par an. Et si un contrat d’aide à l’installation existe, pour une somme forfaitaire de 35 000 euros sur cinq ans, depuis 2023 les étudiants et donc futurs professionnels s’engagent à s’installer dans les zones « très sous-dotées » pendant au moins leurs deux premières années d’exercice.

Inter : dossier d’agrément préalable

Pour les infirmières libérales, ce même mécanisme « un départ pour une arrivée » existe depuis 2012 pour les zones sur-dotées. Pour y travailler, elles doivent, en outre, constituer un dossier d’agrément précisant le lieu exact de leur futur exercice et le conventionnement est subordonné à l’accord d’une commission spéciale. Les infrimières bénéficient également d’un contrat d’aide à l’installation dans les zones sous-dotées, mais moins pourvu que pour les kinés : 27 500 euros « seulement » sur cinq ans, avec 150 euros supplémentaires par mois si elles accueillent un étudiant.

Pour les pharmaciens, enfin, les exigences démographiques s’appliquent depuis … 2008 ! Pas d’ouverture, pas de rachat non plus autorisé en deçà du seuil d’une officine pour 2 500 habitants, avec une autorisation supplémentaire par tranche de 4 500 habitants en plus. Contrainte supplémentaire, il est impossible d’ouvrir une officine dans un environnement géographique trop proche d’une autre déjà installée. Conséquence : alors que la France était jusqu’à récemment l’un des pays au monde les mieux pourvus en pharmacies de ville, ces dernières années le nombre d’officines sur le territoire a stagné et il est désormais en baisse.

Dans ces conditions, on aimerait entendre dans la bouche de certains responsables de syndicats de médecins un peu moins de réticences et davantage de bonne volonté. Ou, a minima, quelques idées pour faire avancer les choses. Or, il faut bien reconnaitre que la plupart des syndicats s’opposent à toute évolution. Et qu’à l’exception des ESS (équipes de soins spécialisées), ils n’avancent guère de solutions concrètes.

Dans une Tribune publiée par le journal Le Monde le 7 mai dernier, deux chefs de service en anesthésie-réanimation, l’un à Paris l’autre à Grenoble, rappelaient que 8 millions de Français vivent dans un désert médical et estimaient « déplacé, voire choquant » les réactions de leurs collègues face aux projets du Gouvernement. Fort bien. A ceci près qu’on aurait aimé les entendre un peu plus tôt. Par exemple, quand ils étaient encore en activité. Et pas, comme aujourd’hui, à la retraite …

Vincent Olivier
Président de Coopération Santé

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