Dans une France qui ne veut pas renoncer à son jacobinisme comment s’y prendre? En reconnaissant le fait territorial. Plus ou moins vaillamment. Les établissements publics régionaux créés en 1972 acquirent droit de cité une décennie plus tard quand le gouvernement issu du scrutin de 1981 leur attribua, ainsi qu’aux départements, un régime de décentralisation sous l’égide de conseils élus. Un peu plus tard, domaine par domaine, des nouveaux territoires spécialisés ont trouvé leur place : contrats de pays, syndicats intercommunaux, communautés de communes et communautés urbaines. On peut être réservé sur les conséquences budgétaires de ces évolutions mais le fait est là : un maillage gradué du territoire permet à des conseils élus d’administrer des politiques publiques au nom d’un principe de libre administration des collectivités territoriales, sous le contrôle a posteriori des chambres régionales des comptes et des juges administratifs.

      En matière de santé, il en va tout autrement. Ce n’est plus dans un esprit de décentralisation mais de simple déconcentration que de nouveaux territoires de santé sont décrétés, sans même rompre, ou à peine, l’entre-soi sanitaire dans la gestion des affaires relevant de ces territoires.

      Les nouveaux territoires de santé se multiplient comme des petits pains : conseil territorial de santé (CTS), groupements hospitaliers de territoire (GHT), communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), et tant d’autres. On l’a compris, depuis la loi HPST, « territoire » est le psittacisme d’un système de santé hanté par l’exigence de réforme et qui bégaie ses nouveaux mots sans jamais prendre la peine de les penser avant de les répéter. Comme il en était allé hier de l’affirmation selon laquelle « le patient doit être au centre du système de soin » ou aujourd’hui de la nécessité de permettre à ce même patient d’avoir un « parcours de soin ». A en croire la tendance, tout serait-il aujourd’hui « territoire » comme en 1968 nous déclarions que « Tout est politique » ?

      Ce serait trop attendre. Si seulement nous pouvions espérer que le management des affaires relevant de ces nouveaux territoires opère dans une approche participative et/ou de co-construction, ce serait formidable.

      Hélas, dans ces nouveaux territoires, on entend bien rester entre gens de boutique. Ainsi avant même la parution du décret relatif aux groupements hospitaliers de territoire, on s’affairait dans l’arrière salle pour découper la circonscription du GHT au fil des influences, sans même en référer à ceux qui en seront leurs usagers, ni même penser à leur rendre compte du destin parfois funeste qu’on leur a préparé. La loi n’a pas mieux prévu que les citoyens soient associés à la construction des politiques dans ces territoires : ni pour les GHT, ni pour les CPTS. Il faudra donc attendre d’improbables textes d’application pour connaître les garanties d’inclusion des citoyens dans l’élaboration des stratégies et des actions censées émerger de ces nouvelles organisations territoriales. Ne pouvait-on pas penser les territoires en même temps que les façons de « faire territoire » ?

      Pire encore, la nouvelle carte régionale issue de la loi NOTRe produit une départementalisation de la santé qui n’était plus attendue, pour ne pas dire qu’elle est contra-cyclique. En dehors de la région Bretagne qui avait su déterminer des territoires de santé correspondant à des pays, les autres nouvelles grandes régions vont déterminer des politiques de santé départementalisées :
en 1981, contre l’Histoire le département était érigé en pivot de la décentralisation, trente cinq ans plus tard, contre toute attente, le département devient le pivot de la recomposition sanitaire des territoires. Car à l’évidence avec des grandes régions dotées parfois de plus de dix départements, il faudra bien descendre d’un cran territorial pour penser et administrer les politiques de santé. Les conseils territoriaux de santé seront donc à la vérité vraie des conseils départementaux de santé dans 95 % des cas !

      Last but not the least : des territoires pour quelle carte ? Nul ne le sait. La Stratégie nationale de santé construite il y a seulement trois ans n’est plus qu’un vague souvenir auquel plus personne ne se réfère. Faute d’avoir su donner une descendance à la loi de santé publique de 2004 on voit mal ce qui pourra servir de guide aux politiques de santé publique dans les nouveaux conseils territoriaux de santé, hors un conglomérat de plans nationaux et de réglementations thématiques plus ou moins bien appariés.

      C’est donc avec toutes ces omissions qu’il faudra agencer nos politiques territoriales de santé. Espérons que de valeureux responsables dans les agences régionales de santé, dans les organisations professionnelles, dans le monde des établissements de santé et dans le monde associatif sauront surmonter de tels écueils.

Christian Saout, Secrétaire Général Délégué du CISS – 12/05/2016