Outre la mise à disposition d’une information ubiquitaire gigantesque, mais non qualifiée, les nouvelles technologies ont permis aux utilisateurs de développer leur capacité de communication entre eux et favorisé l’émergence de nouveaux acteurs intermédiaires dans tous les champs du commerce, de la santé et de la société.

      Le plus souvent ces nouveaux acteurs ne sont pas créateurs de valeurs (sauf pour eux-mêmes), mais permettent aux prestataires d’élargir leur marché et aux consommateurs d’avoir accès à une meilleure information, un accès plus rapide et plus simple aux produits ou aux services afin de parvenir à une décision plus éclairée. Parfois il s’agit de la création d’un nouveau modèle comme Uber. Ailleurs il s’agit d’offrir de nouveaux services comme Ebay, le Bon Coin ou Meetic.

      Le modèle économique correspond alors à des recettes publicitaires générées par l’importance du trafic sur la plateforme, ou à un prélèvement payé à la plateforme d’intermédiation par le fournisseur ou le prestataire (Uber, Booking.fr..) voire moins fréquemment directement par le consommateur sous forme de ticket ponctuel ou d’abonnement.
Ces acteurs se positionnent en nouveaux intermédiaires dans une économie libre de marché au service de consommateurs qui sont disposés à payer le produit, la prestation voire le service intermédiaire.

      Les acteurs traditionnels peuvent alors mettre en place trois types de
stratégie de réponses:

  1. se battre par exemple sur le plan juridique : c’est long et difficile

  2. coopérer, participer ou s’intégrer (par rachat de la start-up) : c’est couteux

  3. changer de modèle en proposant de nouveaux produits, qu’ils soient moins chers (low cost), ou plus efficaces ou de meilleure qualité.

      En Europe, les métiers de la santé sont pour la plupart des métiers réglementés et leurs services sont encadrés par une législation et une réglementation exigeante. Quant aux prestations, une grande partie d’entre elles est solvabilisée par une prise en charge solidaire, mutualisée ou fiscalisée selon les systèmes de santé. Une dispense d’avance des frais assez largement répandue en Europe vient compléter ces dispositifs pour les soins médicaux, les médicaments, les dispositifs et certains services.
      Dans le domaine de la santé la liberté d’initiative d’acteurs intermédiaires est d’autant plus réduite que le plus souvent les règles déontologiques proscrivent la reversion ou le partage d’honoraires (compérage) ou même la négociation des tarifs (à la baisse). Et que, par ailleurs, la Loi impose la liberté de choix des patients et donc limite considérablement la capacité d’orientation dans des réseaux spécifiques intégrés, qu’ils soient privés ou mutualistes. L’analyse du Conseil National de l’Ordre des médecins et de l’ANTEL sur ce sujet est très éclairant.*

      Pour autant le champ de la santé est très vaste, les innovations sont constantes et les solidarités nationales sont incapables de satisfaire à toutes les demandes et focalisent souvent leurs prises en charge sur le « gros risques ».

      Il existe donc des espaces de liberté dans les domaines non pris en charge ou mal remboursés (optique, audioprothèses, santé mentale, nutrition par exemple), dans les services innovants comme tous ceux produits par l’e-sante ou bien dans les défaillances supposées ou ressenties du système de soin.

      Un exemple : celui des traitements de l’hépatite C où l’on voit, dans certains pays pourtant très développés comme l’Australie, se mettre en place un circuit parallèle d’importation par internet d’antiviraux Hépatite C low-cost pour les patients non encore éligibles aux traitements, pour des raisons d’équilibre de trésorerie du système de santé. Cette solution a fait l’objet d’une évaluation scientifique avec publication lors d’un congrès international récent de la spécialité **

      Les métiers de la pharmacie, de l’optique et de l’acoustique sont sans doute parmi ceux qui sont le plus exposés à ce jour, mais d’autres initiatives émergent malgré une réglementation sévère dans des domaines comme celui de la génomique, des services accolés aux objets connectés ou du conseil, voire de la téléexpertise (deuxième avis)et des promoteurs proposant des services de téléconsultations sont dans les starting blocks ; de fait Axa propose déjà ce service pour ses adhérents.

      Comment répondre à ces défis ?

      D’abord par une prise de conscience des professionnels et des pouvoirs publics du fait que les situations de monopole sont appelées à disparaitre devant la poussée de la demande certes consumériste, mais aussi aux vues de l’exigence légitime de transparence et d’information des patients.
Ensuite par une adaptation rapide des protocoles aux nouvelles contraintes sanitaires et sociales ainsi qu’aux innovations des technologies de santé rendue absolument nécessaire pour maintenir un accès aux soins équitable.

      Et surtout par une appropriation par les professionnels des nouvelles technologies que ce soit au niveau de leur formation initiale ou de leur formation continue car les patients n’attendront pas la prochaine génération de praticiens pour exiger une évolution des pratiques davantage en accord avec leurs nouveaux besoins.

 

L’E.santé n’est pas de l’E.commerce. Pierre Simon (ANTEL) et Jacques Lucas (CNO).
** Freeman J, High sustained virological response rates using generic direct acting antiviral
treatment for hepatitis C, imported into Australia, 16 avril 2016, ILC 2016, Barcelone.

 

Jean-François Thébaut, Membre du Collège de la Haute Autorité de Santé – 20/06/2016